voyages-madeleine-guillou

Prévoir le lever du jour et du soleil à l'instinct est ce que je fais de plus ridicule. Sur un bateau qui avance, change de continent, de direction  c'est mission impossible.

C'est comme cela que je me suis retrouvée à 5h sur la passerelle pour constater que le jour ne m'avait pas attendu !

La température a chuté de 34 à 26 degrés. L'air est léger, on respire mieux. Nous passons au nord de la Crète.

Ma promenade sur le pont est courte. Les coursives n'ont pas encore été nettoyées. Le bateau est vraiment sale. Je fais attention. Il y a beaucoup de vent.

Même quand il n'y a pas de vent, la vitesse et la hauteur sur le Bougainville en génère. C'est vraiment le plus mauvais côté de ce style de bateau.

J'arrive à monter sur le pont supérieur arrière pour voir le drapeau mais je ne peux pas redescendre à bâbord. Le vent est trop fort, les marches sont glissantes, les rambardes pleine de sable et d'eau font une boue collante. Pour une fois j'ai des serviettes en papier et je peux essuyer mes mains.

Je reviens à tribord et je décide d'aller à la proue.

J'ai bien failli ne pas y arriver. Je ne reste pas aussi longtemps que je voudrais. Renouer avec le bleu du ciel et de la mer avec une ligne d'horizon nette est un vrai plaisir.

Je rentre dans un état de saleté rare. Les efforts physiques sont terminés pour aujourd'hui, la piscine n'a pas été remplie. Pour compenser, je vais m'entraîner avec les escaliers qui sont nombreux.

Au déjeuner, les passagers anglais sont préoccupés. Ils ont appris que dimanche à Barcelone il n'y a pas de train(ou plus de places, je ne comprends pas toujours…) pour Montpellier– Marseille – Toulon.

Le périple entrepris par David et Geoffrey est vraiment intéressant. Pendant 11 semaines ils ont parcouru une partie, non négligeable, de la planète en train, bateau et Bus. Leur point de départ et de retour est York en Angleterre. Je vous donne la liste des villes "escales" pour vous faire rêver :

Ils sont partis de York en train pour Newcastle.

- Newcastle (Angleterre) Bateau

- Amsterdam (Hollande) Train

- Berlin (Allemagne) Train

- Varsovie (Pologne) Train

- Moscou (Russie) Train

- USAN BATOR en Mongolie Train

- Beijin (Chine) Train

- Kunmang (Sud Chine) (1 jour) Train

- DALI (Sud Chine) (4 jours) Train

Traversée du Laos (Bus)

-Changi (Nord Thaïlande) Bus

- Chiang Mai (Nord Thaïlande) Bus

- Phuket (Sud Thaîlande)  ou leurs épouses les ont rejoints pour deux semaines

- KRABI Thaïlande Bateau

- Patai ( Thaïlande)  Bus

- Panang Georgetown

- Kuala Lumpur (Malaisie) Bus

- Port Kelang (Malaisie)

- Arrivée sur le BOUGAINVILLE jusqu'à Algesiras par le Canal de Suez

- Algésiras (Espagne)

- Barcelone (Espagne)

Le programme initial était donc de prendre le train Barcelone-Montpellier-Marseille-Toulon et ensuite le train pour Milan. Ils viennent  d'apprendre que ce ne sera pas possible. Exit Milan.

Ils ont trouvé des places dans un train Barcelone-Genéve dimanche. Ensuite

- Amsterdam (Hollande) Train

- Newcastle (Angleterre) (Bateau)

- York (Angleterre) train

Chouette voyage pour les deux beaux-frères qui visiblement s'entendent très bien. Ils sont joyeux et sympathiques. Je regrette qu'on ne puisse pas mieux communiquer.

Après le déjeuner je remonte en passerelle. Je suis terriblement en retard dans mes écritures.

Jeffry l'électricien vient contrôler les éclairages extérieurs, j'ai cru qu'il allait s'envoler tellement le vent est fort ! Avec Alizar, électricien lui aussi, ils contrôlent tous les éclairages du navire.

Ils grimpent sur le haut du mat du pont avant et appellent la passerelle pour que je les voie. Nous avons quatre jours de mer, la maintenance s'organise.

J'alterne écriture et écoute de mon livre audio du moment. C'est le livre "L'extraordinaire voyage du fakir .... armoire Ikea" de PUERTOLAS Romain. La voix est très bonne et le livre drôle. De temps en temps j'aime assez les livres un peu délirants avec des rebondissements improbables. Je trouve la fin un peu conventionnelle mais c'est un livre ou on ne s'ennuie pas.

En mer la journée ne se termine pas forcément en chansons mais elle se termine toujours par un coucher de soleil à 360°

Un  convoi par jour traverse le Canal dans le sens Sud - Nord. La procédure est toujours la même.

Les bateaux arrivent la veille entre 21h et 23h dans le Golfe de Suez. Ils  reçoivent leur rang dans le convoi. Ce rang est donné par la capitainerie du Canal.

Les critères de choix sont finalement assez complexes. Les plus gros passent en premier, mais leur vitesse est aussi prise en compte ainsi que quelques autres critères par forcément logiques.

L'heure d'arrivée du pilote est déterminée en fonction de la place dans le convoi.

Aujourd'hui nous sommes à la place numéro deux. Le premier est le MSC "Oscar", il emporte 19000 boîtes et le Bougainville 18 000 seulement.

Le pilote monte à bord à 3H45. Il annonce que nous partons dans 15 minutes Le temps est magnifique.

La nuit a été rude pour les officiers de pont qui ont des boîtes d'alarmes dans leurs cabines.

Elles ont sonné plusieurs fois et ils n'ont pas pu dormir. Une anomalie dans un programme provoque ce dysfonctionnement. Les informaticiens coréens n'ont pas trouvé le bug de ce déclenchement intempestif. Rien de pire quand les heures de sommeil sont très courtes en escale ou pendant le passage du Canal de Suez.

Malgré tout le commandant et le zef Bastien sont souriants et détendus. Le lever du jour et du soleil sont  somptueux sur la ville de Suez.

L'attente n'est pas longue. Le convoi s'ébranle. Nous suivons le bateau de tête en partant une dizaine de minutes après lui.

La sortie du Golfe de Suez est tranquille, il y a des pêcheurs mais ils sont prudents.

À bâbord le long du canal la ville de Suez s'étire sur plusieurs kilomètres avec des constructions variées protégées par le mur surveillé par l'armée. Ce mur existe tout le long du canal, ponctué de miradors et des poste de police et de l'armée.

Je profite mieux du trajet qu'à l'aller. Nous traversons le lac Timsah et les lac Amers. Je regarde la carte marine qui montre l'extension du canal. Je la repère beaucoup mieux qu'à l'aller.

Je ne réexplique pas le fonctionnement du Canal, je l'ai déjà fait dans le billet du 20 avril. Je vais essayer de ne pas me répéter pour ne pas vous ennuyer

Je m'intéresse à tout ce que je n'ai pas pu voir à l'aller. Par exemple je demande au commandant  à quoi servent les plaques métalliques qui sont entassées à intervalles réguliers à bâbord.

Ce sont des ponts en kit  pour que l'armée puisse fermer le canal en un temps record en cas d'agression. Il y a des dépôts de ce type un peu partout le long du Canal.

Instructif n'est-ce pas bon je vais essayer de faire mieux.

Beaucoup de  constructions du bord du Canal sont désaffectées mais il est difficiles de savoir exactement lesquelles.

Il y des constructions traditionnelles avec des extensions surprenantes et des dentelles festonnées que l'on trouve souvent en Égypte.

Je ne sais pas à quoi servent les tours en pain de sucre avec des poutres et des ouvertures de formes diverses.

Je fais l'erreur de demander leur avis à Guillaume et Bastien. Ils affirment avec le plus grand sérieux que c'est pour mettre des pigeons voyageurs sachant bien sûr que le téléphone n'est toujours pas arrivé dans ces contrées.

Bon, je pense que les pigeons vont me coller à la peau jusqu'à la fin du voyage. Je vais aller me renseigner auprès de gens sérieux, non mais !

Il y a des cours d'eau et des cultures. De nombreux ferries font la navette d'une rive à l'autre du Canal. L'ensemble donne une impression ambivalente entre prospérité et pauvreté.

Il est encore très tôt mais les paysans travaillent avant que la chaleur devienne accablante

J'aperçois un troupeau de chèvres, encadré par des chevriers montés sur des ânes. L'âne sert encore beaucoup aux paysans égyptiens.

Cette fois je vois ces ânes que je n'ai pas vu à l'aller.

Sur les conseils du commandant j'abandonne définitivement l'idée de voir des chameaux.

Il faut savoir renoncer aux mythes…

Les ânes son blancs, de loin voir leurs yeux n'est pas évident. Sont-ils albinos ? je plaisante...

Des femmes étendent du linge sur une terrasse hérissée de ferrailles.

Peut-être, comme en Grèce autrefois, je ne sais pas si cela existe encore,  pour une maison non terminée par un toit ou une terrasse clôturée, on ne paie pas de taxes de propriété au gouvernement.

Le résultat est très inesthétique. Les différents tons d'ocre des pierres éclairées par la lumière de ce matin font oublier la misère de ces choix.

En quelques minutes la belle visibilité est remplacée par une nappe de brume noirâtre qui envahit le Canal.

À la sortie des lacs Amers, le temps redevient clair. Nous voyons de nouveau le MSC Oscar qui est en tête du convoi.

Le commandant ne quitte pas la passerelle pour mettre à jour le" journal de bord du commandant". Il improvise une table de travail qui lui permet de surveiller tout son monde et surtout les pilotes.

Nous nous engageons dans la nouvelle branche du Canal. À l'aller nous étions passés dans la partie ancienne.

Ce nouveau chenal est bordé de levées de terre qui forment quelquefois des collines faites de sable et de terre compact.

Pour séparer les deux voies, des dunes artificielles ont été créées.

 À l'entrée un fort militaire nous souhaite la bienvenue.

Sur l'aileron, je me suis fait "agressée" par un coléoptère, instinctivement je l'ai rejeté. Il est tombé sur le dos, les alvéoles du revêtement amovible de l'aileron amortissent sa chute.

Pendant qu'il est groggy je prends une photo. Il réussit à se retourner ! Beau sujet pour mon album animalier.

Il a de petits yeux-antennes bizarres. Petit scarabée égyptien ? Je l'ai évidemment laissé repartir sain et sauf.

Vers 10h30 la première paire de pilotes est remplacée par la seconde paire de pilotes toujours aussi bruyants. Ils sont musulmans et c'est le ramadan.

Une véritable aubaine pour le zef Bastien qui n'aura pas à les abreuver et à les nourrir pendant toute la durée du passage.

En revanche, ils vont dormir chacun leur tour. Une cabine est réservée à cet usage sur le Bougainville.

Des passages construits pour la circulation des véhicules par ferry traversent les deux chenals (je pense qu'on ne dit pas chenaux). On aperçoit juste le haut des bateaux derrière les dunes.

Les égyptiens construisent leurs guérites de surveillance en haut des levées de terre sableuse qu'ils consolident avec des pierres.

Ils ont une longue expérience de gigantesques tumulus (bon d'accord, ce sont des pyramides leurs tumulus de prestiges…).

Pour accéder au sommet ils fabriquent des escaliers que le commandant trouve invraisemblables.

C'est sûr que je n'essaierai même pas d'y mettre un pied !

Les rives sont bordées de routes, les murs ne sont pas encore installés. Par-dessus la dune de séparation qui n'est pas toujours très haute, on voit les bateaux ou le haut des bateaux qui sont dans l'autre sens.

Nous apercevons au loin la ville d'Ismaïlia.

À tribord, une ville totalement nouvelle est sortie de terre en quelques mois. Les palmiers ne poussent pas aussi vite que les immeubles, mais on aperçoit les ébauches des jardins palmeraies.

Les routes sont parfaites absolument partout le long de cette nouvelle voie.

L'asphalte foncé tranche sur tout ce sable blond. 

Nous arrivons à l'endroit où a eu lieu l'inauguration du nouveau chenal le 5 août 2015.

Piste pour trois hélicoptères, estrades, plaques commémoratives qui rappellent les dates importantes de la construction de ce canal, statues monumentales.

Tout y est.

L'Égypte souhaite l'implantation d'industrie dans cette région qui pourrait bénéficier des transports maritimes.

Elle soigne les infrastructures pour attirer des investisseurs.

Il est à craindre que les troubles actuels retardent la réalisation de ses projets.

Nous voyons de loin par-dessus la dune le pont tounant d'El Ferdan qui enjambe le chenal ancien

Vers midi nous sortons du chenal pour reprendre le canal dans son tracé ancien.

Nous passons sous le pont à haubans d'Al Qantara. Le pont porte le nom de la ville qui est à cet endroit.

Tout le long du canal les postes militaires se succèdent.

Celui ci-dessous reprend les caractéristiques de la plupart de ces postes.

En plein milieu d'une zone désertique, il y a de la couleur et des installations pour recevoir les personnes qui arrivent par bateau.

Il est 13h30. Nous avançons assez vite et voyons apparaitre les portiques de Port Saïd. Les deux côtés du Canal sont, à cet endroit, très différents. Un côté sable et un côté cultivé et verdoyant.

Nous obliquons vers la droite au dernier embranchement, pour entrer dans la Méditerranée

Nous quittons le canal vers 15h comme prévu, les pilotes sont repartis.

Plutôt plus cool que d'habitude.

Nous apercevons quelques ports de plaisance et une baie avec plage de Port Saîd.

Nous sommes dans la méditerranée avec un temps merveilleux. Le coucher de soleil est superbe. La mer est lisse, il y a encore beaucoup de mouvement autour du Bougainville.

Le convoi ne peut pas disparaitre en deux minutes. Les navires avancent à la même vitesse autour de 20 nœuds, ce qui fait que les bateaux se retrouvent assez près les uns des autres.

La journée n'est pas terminée pour les hommes du pont.

J'avais bien fait de réserver mon jugement sur la traversée du Canal de Suez. J'ai beaucoup apprécié le passage Sud – Nord.

On distingue bien les méandres du chenal. Les travaux en cours pour l''aménagement du nouveau chenal sont vraiment bluffant.

Le passage Nord – Sud permet de découvrir les villes d'Ismaïlia et d'Al Qantara.

Les décors sont différents. L'extension se veut résolument moderne avec des constructions… pharaoniques.

En bref comme pour le canal de Panama, je suis très contente de l'avoir vu dans les deux sens.

Changer d'océan en une journée est une expérience excitante. Nous avons quitté la Mer Rouge et l'Océan Indien pour entrer dans l'Océan Atlantique par la mer Méditerranée.

Le voyage continut sous d'autres cieux et sur d'autres eaux.

À  5 h, le soleil est déjà haut. La visibilité est parfaite. Il n'y a aucun nuage à l'horizon. Il y a des semaines que nous n'avons pas eu un ciel pareil.

Nous quittons la Mer Rouge pour le Golfe de Suez par le "Strait of Gubal" avec un très beau temps. La chaleur est toujours aux environ de 30 degrés et cela va augmenter dans le Canal.

Les cartes suivantes sont importantes pour comprendre le Golfe de Suez qui est AVANT le Canal de Suez.

Avant les travaux c'était un golfe fermé.

Je fais le tour du pont qui ne sera pas nettoyé avant Suez. Il est impossible de trouver un endroit pour se poser.

Je renonce et je vais à la piscine. L'eau a été changée en mer Rouge et elle est… chaude. Je pense à tous ceux qui grelottent en Europe et je m'abstiens de râler. Pour l'aquagym, l'eau chaude c'est bien.

Dès la fin de la matinée les bateaux apparaissent un peu partout autour du Bougainville. Le commandant surveille de près les mouvements du traffic. La visibilité est bonne.

À bâbord apparaissent de nombreuses îles désertiques. Les îles de Jazirat Jubal font partie d'un archipel égyptien.

À bâbord, on longe les côtes également désertiques.

Elles sont bordées de plateformes pétrolières et de puits de forage. Il y en a beaucoup dans le Golfe.

Cela ressemble à des insectes géants dangereux, inesthétiques et déplacés dans la beauté de ces paysages. Je ne veux même pas imaginer la pollution...

Heureusement il y a encore des petits bateaux de pêcheurs. Celui-là ne nous cherche pas d'histoire et reste prudemment à distance.

Les bateaux se doublent comme de vulgaires camions. C'est ce que veut faire le MSC Oscar qui nous talonne.

Il finit par y arriver et se met juste devant nous, les places sont chères…

L'après-midi se termine. Nous arrivons dans la zone de mouillage en haut du Golfe de Suez.

Un magnifique coucher de soleil termine cette traversée du Golfe de Suez

La ville de Suez est construite dans le fond du Golfe. Il fait presque nuit.

Les rives et les bateaux s'illuminent.

 Le soleil termine sa course et la lune le remplace.

Le passage du Canal de Suez dans ce sens-là suit toujours le même scénario. Les candidats au passage arrivent la veille entre 20h et 23h environ.

Une place leur ait attribué dans un parking marin appelé zone de mouillage.

Dans la nuit les agents portuaires composent le convoi et attribuent à chacun une place. Suivant la place attribuée l'heure de départ est communiquée au bateau. Cette heure se situe entre 3 et 5h du matin.

Bastien doit me réveiller quand le pilote arrivera à bord.

Il est 21 h 30. Seulement quelques heures de sommeil pour l'équipage. Demain la journée sera longue.

Je me suis levée à 5h. Nous avons encore reculé d'une heure cette nuit. Pas difficile de se lever, depuis 10 jours nous avons perdu le compte de nos heures de sommeil. Je n'ai pas d'obligations cela ne me gêne pas mais pour l'équipage c'est un peu plus difficile. Nous sommes enfin à l'heure de Paris.

On verra pour celle de Londres, le commandant n'a pas encore décidé s'il changera d'heure pour l'escale de Southampton, cela dépendra du vote pour ou contre le "Brexit". Je plaisante, il n'a jamais dit ça mais il le pourrait !

Nous remontons paisiblement la Mer Rouge. Le temps est le même qu'hier. Chaleur, brume et du sable partout.

Le commandant me montre sur la carte le port de Jeddah. Il connait le port qui a une entrée difficile par un chenal étroit. Il ne garde pas un bon souvenir de ces escales. Personne ne pouvait descendre. Les yéménites avaient peur que des pieds impies foulent leur sol.

Endroits du monde enfermés sur eux-mêmes depuis si longtemps qu'il est difficile de savoir ce qui s'y passe réellement. Je ne parle pas des renseignements officiels ou de quelques reportages dirigés et autorisés, mais de la vraie vie dans ces territoires.

Aucune chance de voir le soleil en ce début de matinée. Je ne reste pas dehors, même mon encoignure habituellement protégée, est pleine de sable.

Dans le fauteuil de vigie, je bois un café brûlant en me perdant dans la brume, écoutant un énième chapitre de mon livre audio de Stephen King.

En même temps je regarde Vic, timonier/vigie nettoyer le pont bâbord. Le sable va revenir illico mais sur l'instant, un peu de propre, c'est agréable.

Nous avançons à plus de 18 nœuds, la mer est d'huile. La chaleur est de 31 degrés à 6h.

Je descends faire un tour de pont avant que la chaleur soit trop insupportable. Il y a du sable partout et on ne peut stationner nulle part. C'est Bougainville-plage !

La chaleur est étouffante, je n'ai plus qu'une envie après la plage c'est la piscine. Déception, elle est vide, une douche fera l'affaire et je vais faire une lessive.

Après le déjeuner je m'installe en passerelle pour un après-midi paisible entre lecture, écriture observation de la vie autour de moi.

Nous sommes passés devant Jedda et j'ai eu envie d'en savoir davantage sur cet endroit.

Djeddah, parfois orthographié Jeddah ou Gedda, est la deuxième ville d'Arabie saoudite et un grand centre de commerce, située sur les bords de la mer Rouge c'est une ville historique, la porte de la Mecque.

À partir du VIIe siècle, elle a été l’un des ports les plus importants sur les routes commerciales de l’océan Indien. C’est ici qu’arrivaient les marchandises à destination de La Mecque. C’était aussi le port d’arrivée pour les pèlerins voyageant par la mer. Ce double rôle a permis le développement d’une ville multiculturelle, caractérisée par une tradition architecturale originale, née de la fusion des traditions de construction en corail de la région côtière de la mer Rouge avec des idées et savoir-faire glanés le long des routes commerciales. Au XIXe siècle, les élites marchandes y ont notamment bâti de superbes maisons-tours.

Djeddah est un témoignage exceptionnel de la tradition architecturale de la mer Rouge. Ce style est caractérisé par les imposantes maisons-tours ornées de larges roshans en bois, construites à la fin du XIXe siècle par les élites marchandes de la ville. Il est caractérisé également par des maisons plus basses en pierre de corail, des mosquées, des "ribat", des souks et de petites places publiques, cet ensemble composant un espace animé.

La ville revêt un rôle symbolique en tant que porte de La Mecque pour les pèlerins musulmans qui ralliaient l’Arabie en bateau à l’époque où le troisième calife Othman ibn Affan fit de Djeddah le port officiel de La Mecque.

Son lien étroit avec le pèlerinage annuel musulman du hadj a donné à la ville une population cosmopolite où les musulmans d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient ont vécu et travaillé, contribuant à la croissance et à la prospérité de la ville.

Djeddah témoigne du développement ultime du commerce maritime de l’océan Indien après l’ouverture du canal de Suez en 1869 et l’apparition des bateaux à vapeur qui reliaient l’Europe à l’Inde et à l’Asie. Ce développement enrichit considérablement de nombreux marchands qui firent construire des maisons somptueusement aménagées, et cela conduisit également à l’essor des souks et des mosquées. De plus, l’augmentation du nombre de navires de mer permit à un nombre très accru de pèlerins de faire le pèlerinage à La Mecque, ce qui a conduit à l’augmentation du nombre de dispositifs d’hébergement pour ces visiteurs.

Toutefois, la ville actuelle n’est que l’ombre de la ville développée et prospère qu’elle fut.

Ces quelques renseignements via le web, expliquent certainement les réticences envers l'arrivée des marins qui sont forcément des mécréants avides de luxures de toutes sortes. Retro Satanas !

Vers 15 h, Bastien arrive et je le vois s'adonner à une occupation pas banale. Notre zef en passe de devenir lieutenant, fait des découpages et des collages. Eh oui ! En 2016 sur un navire bardé d'enregistreurs, d'instruments plus sophistiqués les uns que les autres on a encore l'obligation de tenir à jour des registres d'antan.

Je vous ai parlé du registre des mesures prise manuellement avec le sextant plusieurs fois par jour. Savoir se diriger grâce aux astres semblent une tradition à conserver. D'ailleurs tous les marins que je vois en passerelle aiment faire ces relevés et leur notation est technique et poétique.

Le travail demandé à Bastien, qui est fait normalement par le lieutenant de quart, est une autre affaire. C'est la correction de documents nautiques pré-imprimés et reliés. Les modifications des renseignements nautiques réels pendant la traversée, par exemple sur les feux et balises rencontrés,  arrivent imprimés sur des feuilles volantes. les lignes sont sont découpées en bandes et collées à la main sur les feuilles des documents reliés.

Toutes ces données sont évidemment enregistrées dans des bases de données en continu. Depuis des lustres personne ne met plus le nez dans ces documents nautiques mais il est OBLIGATOIRE de les mettre à jour.

Rien que pour cela avoir un zef à bord c'est le bonheur pour les lieutenants. Mais est-ce bien raisonnable !!!

La fin de journée est clémente et le soleil fait enfin son apparition. Ce qui permet à ces jeunes gens de tester leur habileté à manier le fameux sextant. Ce n'est pas si simple pour faire des calculs exacts.

Ils s'y reprennent souvent à plusieurs fois. Cela peut se faire à l'intérieur, à l'extérieur. Les points de repères, si ce n'est pas le soleil, peuvent être variés.

Le soleil de ce soir laisse présager une belle journée demain pour notre arrivée au mouillage avant la traversée du Canal de Suez.

Cette nuit nous avons quitté le Golfe d'Aden pour entrer dans la Mer Rouge par le détroit Hab El Mandeb.

Le détroit de BĀB AL-MANDAB (Bab el-Mendeb), ou « Porte des lamentations », est divisé par l'île de Périm (Mayyun) en deux parties : le petit détroit, large de 3 kilomètres entre Périm (Mayyun)  et la côte du Yémen, et le grand détroit, large de 26 kilomètres, entre Périm (Mayyun) et la côte africaine de Djibouti, qui est emprunté par la grande navigation.

C'est un passage délicat, le Bougainville est passé vers 2h ce matin. Le commandant était à la passerelle pour surveiller ce moment de navigation. Le risque zéro n'existe pas.

Des courants dangereux affectent ce passage, ce qui explique son nom. Le passage est contrôlé par l'île de Périm (en arabe, Mayyun), qui appartient au Yémen. L'importance stratégique de ce détroit explique que les abords de Bāb al-Mandab soient l'objet de la constante attention des pays riverains comme des grandes puissances.

L'île Périm (Mayyun) est en forme de croissant très refermé sur lui-même, délimitant ainsi une baie et plusieurs criques formant un port naturel. Culminant à 65 mètres d'altitude, l'île fait 13 km  de long. Il y a 300 habitants environ.

Elle est constituée de la partie émergée d'un volcan né de l'ouverture de la vallée du grand rift et de la mer Rouge.

En raison de l'aridité de l'île causée par l'absence de cours d'eau et la faiblesse des précipitations, la végétation de Périm est sporadique.

Le phare de Périm (Mayyun) est utilisé comme aide à la navigation maritime dans le détroit de Bab-el-Mandeb. Inauguré en 1861, sa tour de 11 mètres est agrandie à 81 mètres de hauteur en 1912.

Différentes puissances coloniales européennes présentes dans l'Océan Indien avec des comptoirs et colonies à partir du XVIe siècle tentent de s'établir sur Périm (Mayyun) qui présente un intérêt stratégique majeur car situé sur la  Route des Indes.

En 1967, la Fédération d'Arabie du Sud et le protectorat d'Arabie du Sud deviennent indépendants et fusionnent sous le nom de République démocratique populaire du Yémen. La population vote pour son rattachement à ce nouvel État. L'île de Périm demeure néanmoins l'objet d'un contentieux territorial avec la République arabe du Yémen.

Avec la réunification de la République démocratique populaire du Yémen et de la République arabe du Yémen qui forment la République du Yémen, le contentieux de l'île de Périm prend fin.

La France et le Yémen avaient envisagé en 2009 de bâtir à Périm (Mayyun) un port artificiel pour renforcer le dispositif de lutte contre la piraterie dans cette partie de l'océan Indien.

Le lever du soleil est laborieux et  timide, la brume recouvre tout l'horizon. La visibilité n'est pas nulle mais réduite. Il finit par monter à l'horizon pour disparaitre presque aussitôt. On ne le reverra pas de la journée.

La mer est calme et le traffic inexistant, le Bougainville remonte le détroit. Il passe devant le port de Al MUKHA qui se trouve sur la côte du Yémen.

Ce port m'intrigue, et j'ai raison. Il est à l'origine d'un plaisir très répandu dans le monde, je veux parler du café.

Al Mukha District est un district du gouvernorat de Taïz du Yémen. En 2003, le district avait une population de 18155 habitants. La capitale est Moka ville portuaire sur la Mer Rouge.

Plusieurs appellations de café, tant dans le monde arabe qu'en Europe, tirent leur nom de cette ville.

Moka devient célèbre en Europe aux XVIème et XVIIème aux siècles. Le premier café ouvre en 1554 à Constantinople. La passion pour le moka gagna Venise en 1615 et le premier café ouvre à  Vienne (Autriche) en 1640.

C'est alors l'apogée d'Al-Mukha, qui détient le monopole du commerce du café et peu après celui des livraisons vers l'Europe. La décadence de ce port s'amorce lorsqu'au XVIIIème Ceylan devient le centre de la contrebande du café avant d'en devenir le principal comptoir.

La Compagnie des Indes Orientales organise la première expédition de Moka qui quitte Brest le 6 janvier 1708. Les corsaires malouins Philippe Walsh, capitaine du Curieux, et Julien Lebrun sur Le Diligent font route pour Moka.

 Les deux navires rentrèrent (sans Philippe Walsh, mort à  Massali) à Saint Malo le 8 mai 1710 avec 1 300 milliers de café.

En cours de route, ils rançonnent deux navires anglais à la hauteur de Lisbonne, prennent un hollandais de 36 canons, le Grand-Vainqueur-de-Middelelbourg auprès de l’Ascension. Au retour, ils prennent un autre hollandais de 40 canons, l'Esquivic, dans les parages des îles Maldives.

Aujourd'hui le mot "moka" est tombé en désuétude mais les gens de ma génération se souviendront peut-être de la société MOKAREX qui dans les années 1970, à Épinay-sur-Seine, importait, torréfiait et distribuait du café. Il y avait des petites figurines de soldat en plastique dans chaque paquet.

J'ai eu l'occasion d'y aller. Je faisais mes premiers pas en informatique. Leur expert-comptable avait créé ce qu'on appelle aujourd'hui une start-up et m'avait embarquée dans l'aventure. L'usine embaumait le quartier tout comme l'usine des Petits-Lu embaumaient la ville de Nantes il y a quelques années.

Je descends pour ma promenade de santé. Les traces des vagues chahuteuses qui ont bousculé le navire hier sont visibles sur les coursives. Le sable devient de plus en plus présent et je suis surprise des résudus importants de sel. Je médite sur l'opportunité commerciale de faire des petits pochons de sel comme à Guérande. On marquerait "Bougainville mer Rouge 2016",  

Le nettoyage bat son plein, c'est une bataille perdue d'avance sauf peut-être pour éviter que le sable s'introduise trop loin et se durcisse devenant difficile à faire disparaitre.

Quant au sel c'est le grand ennemi de la ferraille.

Il y a plusieurs jours que je n'ai pas alimenté mon album animalier. Les oiseaux se cachent (sans doute) pour mourir (pas terrible, mais cela évoque peut-être quelque chose pour vous…), en tout cas je n'en vois plus.

Ce matin j'aperçois enfin un spécimen d'insecte. Il est tellement immobile que je me demande s'il est empaillé ! Je m'approche, il ne bouge pas.

Je prends ma photo sans zoom. Prudente (en fait, peureuse) je me recule et je tape du pied comme les gosses. L'insecte s'envole.

J'ai d'abord pensé à une sauterelle mais après consultation de mes camarades de quart de l'après-midi, j'opte pour un criquet.

Je suis certaine que je vais avoir des avis.

En crapahutant d'escaliers en escaliers, j'arrive sur le pont arrière.

Je constate que nous ne hissons pas les couleurs aujourd'hui, je suppose que le bosco n'a pas envie de faire la lessive avant Suez.

Le drapeau est soigneusement plié et maintenu au pied du mat par des nœuds marins de professionnels

Je passe l'après-midi sur la passerelle dans une ambiance tranquille. Mauvaise visibilité mais pas de bateau à l'horizon même lointain. La couche de sable déposée sur les conteneurs et les ailerons est une poussière fine de teinte ocre.

J'écris devant ce brouillard rempli de particules de sable envoyées par les déserts qui bordent ce détroit.

Plus loin on contourne le très grand archipel Jazirat Jabal Zuqar.

L'archipel des îles Hanish est à mi-chemin entre les côtes africaines et arabiques et, entre le Yémen à l'est et l'Érythrée à l'ouest auquel elles appartiennent, au nord du détroit de Bab-el-Mandeb. Bien que située à mi-distance des côtes asiatiques et africaines, ces îles sont considérées comme faisant partie de l'Asie en raison de leur position sur le talus continental bordant l'Arabie.

Environ 23 îles et îlots composent cet archipel qui s'étire du nord au sud autour de deux îles principales : l'île Grande Hanish et l'île Zuqar. Ces îles d'origine volcanique sont soumises à un climat désertique ce qui les prive de végétation dense.

Les îles Hanish étaient réclamées par le Yémen jusqu'en  1923, date à laquelle elles furent administrées par la colonie italienne d'Érythrée. En 1941, face à la défaite des forces armées coloniales italiennes, les îles passent sous contrôle britannique qui les érige en protectorat. À partir des années 1970, l'Éthiopie (qui a annexé l'Érythrée) et le Yémen réclament chacun la souveraineté de la totalité de l'archipel. L'Éthiopie justifie le contrôle de ces îles par le fait que l'archipel, en particulier l'île de Zuqar, est utilisé comme base arrière par les rebelles érythréens qui organisent des attaques contre l'armée éthiopienne.

Au moment de l'indépendance de l'Érythrée en 1991, cette dernière reprend le relais de l'Éthiopie et tente de conquérir par la force les îles en 1995, entraînant une crise militaire du 15 au 17 décembre 1995. Le cas est alors déposé devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye qui rend son verdict le 9 octobre 1998 : le Yémen obtient la souveraineté sur la quasi-totalité de l'archipel à l'exception de quelques petits îlots dans le sud-ouest de l'archipel qui reviennent à l'Érythrée.

Ces îles ne semblent pas habitées.

Le soleil se montre timidement, le disque blanc traverse la brume sans conviction.

Cette nuit nous changeons d'heure pour la dernière fois. Demain nous serons à l'heure française et bientôt la fin du voyage.