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voyages-madeleine-guillou

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voyager en cargo autour du monde

Publié le par voyages-madeleine-guillou
Publié dans : #Demi-tour du monde

 

Chaque expérience, bonne ou mauvaise, nous fait avancer. On essaie toujours de savoir ce qu'elle a pu modifier en nous. Pour celle-ci c'est facile. Elle m'a apporté une grande sérénité. J'ai la sensation d'avoir vécu en apesanteur pendant des semaines. Le cadre très formel dans lequel on évolue dans le vase clos d'un navire de commerce favorise la liberté de l'esprit. Au fur et à mesure du déroulement du voyage c'était comme si des pièces de puzzle se mettaient en place pour m'amener à une vraie"zénitude". J'ai vécu des journées de complet bien-être physiquement, intellectuellement, moralement. Pas de passé, pas d'avenir, juste se sentir exister de la tête aux pieds par tous les pores de la peau, la tête dans le soleil et les étoiles. Au rythme des vagues creusées par le navire.

 

Après cela il est difficile de retrouver la vie à terre. Le roulis et le ronronnement des moteurs me manquent. Difficile de voir tous les jours le même environnement. Encore plus difficile d'écouter la radio, la télévision, la sonnerie du téléphone. Difficile de réendosser un statut social et familial.

 

Une certitude : ce voyage n'est pas reproductible. Ni pour moi, ni pour personne. Quand j'ai réservé ce voyage j'ai eu la sensation de faire un chèque en blanc à l'agence. C'était bien le cas. On achète la location d'une cabine/salle de bain, une prestation de 3 repas par jour et un trajet dont les escales ne sont pas garanties. Les dates de départ et d'arrivée sont mouvantes ainsi que le nom et la catégorie du porte-containers. La compagnie fait signer un contrat par lequel elle se dégage de toute responsabilité dans tous les domaines. Quoiqu'il arrive le passager aura tort et ne pourra rien demander comme dédommagement. Une bonne dose d'optimisme et d'adaptabilité est nécessaire pour envisager de partir avec la CMA-CGM. Impossible pour une agence de dire au client que la réussite du voyage dépend à 99% de la composition du groupe d'officiers qui dirige le navire. Surtout que l'équipage est constitué au dernier moment.

Tout cela peut faire hésiter avant de signer mais pour moi le seul point dérangeant c'était que l'anglais soit la langue officielle à bord. J'ai pris le risque mais je ne recommencerais pas. Avoir la chance d'avoir les 3 principaux officiers roumains parfaitement francophones n'arrive qu'une fois. Mon anglais est très insuffisant pour dépasser les échanges de la vie quotidienne. D'autant plus que les accents très disparates ne facilitent pas la compréhension.

 

En dehors de l'équipage la grande inconnue est de savoir quels sont les passagers qui vont partager ce voyage. Sur l'Utrillo il peut y avoir 6 passagers maximum. Il y a 3 cabines passagers dont une avec deux lits. Au départ du Havre nous étions 3 passagers français. Nous nous sommes bien entendus en respectant nos rythmes et nos territoires. Bernard est descendu à Tahiti et Claude à Sydney. Deux passagers australiens sont montés à Sydney. À partir de ce moment j'ai vécu seule avec l'équipage. Les deux passagers australiens n'apparaissaient qu'au moment des repas et quelquefois sur la passerelle au moment des escales. Pour moi cela a été une grande chance qui m'a permis de me fondre dans le paysage de l'équipage. Aucune agence ne peut prévoir ce genre de situation.

 

Peu de passagers font la rotation complète. Faire Le Havre-New York (7 jours) donne juste un aperçu de la vie à bord. Aller jusqu'à Sydney (38 jours) permet déjà d'être un peu intégré à l'équipage. Le test ultime est la traversée entre Tauranga (Nouvelle Zélande) et Panama qui est de 15 jours sans escale. Moment redouté par l'équipage. Cette fois, à cause du sauvetage du catamaran, la traversée ininterrompue a duré 20 jours !

 

Il y a quelques critères pour se lancer dans cette aventure.

D'abord aimer la mer, le ciel, le soleil, la lune dans tous leurs états.

 

Il faut aimer les bateaux, les ports, s'interresser au travail des dockers et des marins.

 

Il faut savoir être un "taiseux" comme on dit en Bretagne. Quelles que soient les relations amicales avec l'équipage il faut se rappeler que ces hommes travaillent tous les jours sans interruption. Il ne faut pas les distraire de leurs tâches même si c'est très facile à faire. Rien de plus agaçant que les passagers qui jouent "les mouches du coche", sachant mieux que les professionnels les actions à réaliser.

 

Il faut aimer les longues heures de relative solitude, savoir les remplir par la lecture, les films, la rêverie, le…sommeil. Les siestes sont merveilleuses sur le pont face à la mer.

 

Un critère important est la curiosité. On apprend tous les jours quelque chose de nouveau, encore faut-il être à l'affut. Là aussi il faut bénéficier d'un équipage convivial. Par exemple aller voir plusieurs fois par jour la position du bateau sur les radars et les cartes marines donne à la mer un relief concret. On n'est jamais au milieu de nulle part. Chaque caillou dans les océans est répertorié et a une histoire. Changer 32 fois d'heure en 3 mois, vivre le "date line" en plus et en moins, passer deux fois la ligne de l'hémisphère (latitude), une fois la longitude de Greenwich, tout cela permet de comprendre les mouvements de la terre, du soleil et de la lune.

Cerise sur le gâteau, la nationalité roumaine des officiers m'a permis de découvrir ce pays dont je ne connaissais que le dictateur déchu. Les officiers parlaient avec passion de la beauté et de la culture de la Roumanie. Ils m'ont donné envie d'aller à Bucarest pour l'architecture et l'histoire, à Constanta pour les plages et la musique, dans les forêts frontières avec la Moldavie ou poussent de magnifiques pivoines sauvages au printemps.

 

Il ne faut pas prendre cette formule pour visiter des pays ou des villes. Si on peut descendre c'est bien si on ne peut pas c'est dommage mais cela ne doit pas être une contrariété. J'ai aimé les arrivées et les départs dans les ports autant sinon davantage que les quelques visites des villes ou nous avons pu descendre. Ma plus grande émotion a été l'arrivée et le départ de New York, ma plus grande découverte a été la ville de Sydney. Je n'oublierai pas non plus les odeurs et le soleil de Papeete.

 

Il vaut mieux ne pas accorder d'importance aux repas, le budget minimal accordé par repas au commandant ne permet pas de faire des prouesses gastronomiques. Sauf peut-être si on a un cuisinier français inventif.

 

Cette parenthèse enchantée se referme. J'ai découvert à travers les hommes des professions, des métiers que je ne connaissais pas. J'ai appartenu provisoirement à cette "caste" des gens de mer. J'ai vu des ports de commerces inaccessibles aux non-professionnels. J'ai vécu à côté des marins suffisamment de temps pour comprendre les difficultés de leurs vies séparées de leurs familles. Contraints de vivre et de s'entendre pendant des mois avec des compagnons qu'ils ne choisissent pas. Avec moi ils ont toujours été d'humeur chaleureuse, plein de courtoisie et de gentillesse. Je n'oublierai pas l'amitié des officiers le commandant Lucian Cornea, le chef mécanicien Sébastien Munteanu. Je dois encore plus de reconnaissance au capitaine Vasile Hincu qui a eu la patience de répondre à mes questions, de m'initier aux mystères de la navigation, de m'apprendre à regarder la mer et surtout de m'avoir accepté sur la passerelle à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Je termine par le deck fitter philippin Numériano Leysa. Au départ du Havre il m'avait accueilli à l'échelle de coupée en m'embrassant spontanément avec un gentil compliment. J'ai eu l'occasion de le voir agir courageusement et habilement dans plusieurs occasions critiques sans jamais se départir de sa bonne humeur. Nous avons eu une vraie complicité tout le long du périple, c'est le dernier que j'ai embrassé en quittant l'Utrillo.

 

J'ai rencontré des hommes rares qui ont permis à mon rêve de faire le tour du monde de se réaliser en le concrétisant au-delà de ce que j'avais pu imaginer. Aujourd'hui je suis sûre que la terre est ronde et qu'elle tourne autour du soleil. J'ai vu la courbure de la terre.

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