Temps magnifique. Je m'installe dans une passerelle vide qui m'appartient entièrement. Je suis environnée de portiques en folie.
On charge à une vitesse incroyable, la moyenne est de 25 à 30 conteneurs à l'heure par portique. Certains peuvent même accélérer la cadence. Depuis notre arrivée, jour et nuit, il y a entre neuf et dix portiques en action pour le Bougainville. Un petit porte-conteneurs (2000, 3000 je ne sais pas) est entré dans la baie et stationne devant nous, il va falloir partager les portiques. Les cales vides sont d'une profondeur inquiétante. Je me penche avec prudence.
Images insolites : détail de travaux sur un portique protégé du soleil par un petit parasol !
Quelques renseignements sur la ville et le port Khor Al Fakkan (source wikipédia).
La ville constitue une enclave de l'émirat de Charjah entourée par celui de Fujaïrah au nord et au sud et par l'enclave omanaise de Madha à l'ouest. Plus grand port des Émirats arabes unis sur la côte Est, Khor Fakkan sert de plate-forme de distribution et de transport de marchandises en provenance et en partance pour le golfe persique, l'Océan Indien et le reste de l'Asie. Grâce à ses eaux profondes, le port peut également accueillir des pétroliers pour l'exportation de pétrole.
Khor désigne un îlot découvert à marée basse.
Le site offre peu de place car la ville est prise en étau entre la mer d'Arabie et les montagnes Shumayliyah qui culminent à 1 023 mètres d'altitude au djebel al Hilqah.
Le port se situe dans une baie, la baie de Khor Fakkan, orientée Nord-Nord-Est et protégée des vents dominants par une jetée servant de terminal pour les porte-conteneurs.
Le tourisme, malgré l'interdiction totale de vente et de consommation d'alcool par l'émirat de Charjah, est bien développé grâce aux plages de sable blanc et aux récifs coralliens qui attirent de nombreux plongeurs sous-marins.
Les émirats n'ont pas d'industrie, pas d'économie exportable. Ils exportent le pétrole brut. Ils importent tout ce dont ils ont besoin. L'or noir leur permet de vivre sans produire quoi que ce soit.
Tous les employés qui travaillent dans le port sont des indiens. Ils ont leur propre village à côté de la ville. Ils ne sont sans doute pas musulmans, on peut imaginer la ségrégation qui existe. Il est vrai que le régime des castes en Inde n'est toujours pas aboli, cela ne les change pas beaucoup et ici ils ont du travail.
La ville de Khor Al FAKKAN est plus animée qu'hier. Des bateaux font la navette entre la ville et le rocher de Sirat Al Kkawr. Mon poste d'observation est épatant. Dans une petite crique des tentes ont été installées, des gens se baignent avec des longues chemises. Je ne pense pas que ce soit pour éviter les coups de soleil…. Quelques personnes font de la plongée en… combinaisons. Avec 40° extérieur, cela s'impose. On ne peut pas oublier dans quel pays nous sommes
Côté ville les hors-bords sont nombreux. Ils trainent des parachutes ascensionnels qui mettent des jolies couleurs dans leur sillage. Vincent aurait souhaité aller avec Bastien (le zef du pont, j'espère que vous suivez) faire du ski nautique. En tant qu'étudiants ils bénéficient d'un peu plus de temps de loisirs que les autres. Le problème est de sortir du port. Pour avoir un "short Pass" c'est extrêmement long et compliqué. On peut rester bloqué plusieurs heures dans la guérite sans aucune raison valable. Ensuite si jamais ils acceptent, il faut prendre un taxi hors de prix pour aller en ville, sans être certain d'en trouver pour le retour. Pierre a fait l'expérience dans un précédent voyage, il était rentré à pied. Nous ne sommes pas les bienvenus dans cette ville. Autant faire l'impasse.
Pendant les escales les marins repeignent les éraflures sur la coque du navire. Avec cette chaleur, les odeurs de peinture, de graisse, de fioul, rendent ce travail très pénible, mais cela fait partie des tâches d'entretien.
D'après les dernières infos nous devrions partir vers 21 h. C'est une bonne nouvelle pour l'équipage, si cela se confirme, nous devrions être en pleine mer avant minuit.
Un oiseau vient se poser juste devant mes yeux. C'est le premier oiseau qui ose venir jusque dans le port. La seule verdure et le seul endroit pour les déchets éventuels sont à la sortie du port. Sur les navires et sur les quais il n'y a rien à picorer. Je pense que c'est un corbeau mais il est petit, cela pourrait être une corneille, ma connaissance des oiseaux ne s'est pas améliorée depuis mon dernier périple.
Le porte-conteneurs arrivé ce matin repart déjà. Nous allons récupérer les portiques. La sortie du ^port est très rapide.
18 h le silence me fait lever la tête, toute l'activité du port s'est arrêtée. Les dockers indiens descendus des portiques rejoignent sur le quai une cabine qui ressemble à un conteneur peint en blanc. Changement d'équipe. Un peu plus loin, un autre groupe de dockers consultent des documents. Les chefs sans doute qui prennent connaissance des plans de travail.
Ce qu'ils font doit être épuisant, les cadences sont très élevées et la concentration exigée est maximum. Dans la cabine mobile du portique qui fait des allers-retours continuels devant moi, le grutier est un tout jeune homme. Il est courbé en deux pour suivre visuellement le placement du conteneur qu'il fait descendre. Il tire nerveusement sur sa cigarette.
Il attend la fin du balancement, pose et attend le moment de l'enclenchement correct des twist-lock pièce de métal qui unit les conteneurs pour libérer la nacelle qu'il remonte avant de repartir à toute allure en marche arrière pour prendre un nouveau conteneur stocké sur un des camions qui attendent en convoi sur le quai. C'est vraiment un métier !
L'architecture des portiques est d'une beauté extraordinaire. Je ne pense pas que ce soit un paramètre qui a été pris en compte dans leur fabrication, mais c'est un fait. Au milieu d'une douzaine de portiques, il y a un portique "amiral" avec une flèche immense qui ressemble à un pont routier. Il y a des dizaines de balustrades et d'escaliers dans tous les sens.
Cela permet de communiquer avec les différents piliers. La hauteur est vertigineuse. Les hommes qui grimpent tout en haut des piliers sont les huniers et les vigies modernes des ports actuels.
Je suis emplie d'admiration pour les ingénieurs, les techniciens, tout ceux qui ont conçus et réalisés ces "monuments".
Justement les dockers ont accéléré les cadences et nous partons bien à 21 h. Le fait qu'il y ait un bateau qui attend d'entrer dans le port n'est pas étranger à cette efficacité.
Le diner est un peu avancé, le capitaine ne prend qu'un sandwich, il doit faire les derniers contrôles de chargement. L'heure du départ convient à tous.
Les hommes de la machine sont confrontés à un mystère : la trottinette du Chef a disparu ! La belle trottinette blanche n'a pas été revue depuis ce matin. La trottinette noire commune est là. Une vaste enquête dans les profondeurs du navire va être menée, apparemment il y a des recoins multiples ou elle a pu être déposée. Blague ou pas blague ? On en saura davantage demain. Pour l'instant seul le départ compte.
20 h 30 un conteneur n'a pas été mis à la bonne place. Le capitaine prévient un portique qui se remet en action, l'erreur est réparée. Le pilote arrive vers 21 h, les remorqueurs sont en place.
Le filet de l'échelle de coupée est remonté, c'est une manœuvre difficile qui demande beaucoup de force physique aux marins. L'échelle est fixée le long du bateau.
On détache le navire qui décolle lentement du quai. Il recule pour se dégager de la rade. Moment intense. Il pivote lentement pour mettre l'avant face au large. Des petits bateaux passent devant et derrière, la nuit ils sont très visibles, le danger est moindre.
Une demi-heure après, le pilote descend et les remorqueurs rentrent au port. Nous sommes de nouveau autonomes. L'équipage termine la sortie de la baie. Malgré sa taille ce navire est très "manœuvrant" me dit le commandant. Ce soir il ne râle pas, je crois même qu'il est content.
En route pour Shanghai.