Les mouvements de chargement et déchargements des conteneurs ont été bruyants cette nuit. Par moment cela faisait trembler le bateau, pour dormir ce n'était pas l'idéal.
Dans ces conditions se lever de bonne heure est facile. Je monte voir la passerelle. Personne encore.
Le jour se lève, les vitres sont recouvertes de buée. Le port est dans une brume de chaleur humide.
Je ne me lasse pas de la diversité des embarcations que je vois depuis toutes ces semaines de mer et de ports.
Ce matin, ils passent continuellement dans les deux sens. Des petits bateaux transportent des chargements recouverts de bâches protectrices. Impossible de connaitre le contenu.
Hier j'ai admiré le bateau bleu alourdi d'une cargaison, ce matin il rentre à vide et croise un aussi joli bateau rouge qui part avec un chargement.
Je descends déjeuner. Je passe une tête au pont G, le commandant est à son bureau. Je vais le saluer et prendre les nouvelles. Le pilote est annoncé à 8h.
C'est une bonne heure pour quitter un port. Ne pas oublier qu'il faut environ deux heures pour contrôler et préparer le navire avant la montée du pilote.
Petit-déjeuner rapide et je retrouve le commandant en passerelle.
Il fait un temps magnifique. 30 degrés. La brume est partout. Ce n'est pas la brume chinoise ! C'est une brume de beau temps.
Guillaume arrive et prend une raclette pour dégager un peu la buée sur les vitres. Le commandant me dit "je lui ai demandé de faire les vitres et le plein". En pleine forme le commandant !
Le pilote arrive à 8 H. Il est souriant et aimable. Décidément, la journée s'annonce bien.
Guillaume compte ses conteneurs, non je plaisante, il vérifie que les emplacements sont corrects. Pendant ce temps le pilote fait des allers-retours passerelle-ailerons pour se mettre en jambes…
Il n'y a pas de départ ou d'arrivée sans cette image du commandant et du pilote penchés au maximum au bout de l'aileron.
Pour le départ, ils observent la remontée complète de l'échelle de coupée. Ensuite, Ils pourront donner l'ordre de lâcher les aussières qui libéreront le navire.
On a un peu envie de leur faire la blague de faire semblant de les pousser, non ?
Ce matin l'équipe est nouvelle, les gestes ne sont pas encore très rapides. C'est une manœuvre qui demande de la précision et une grande force physique.
J'ai fait un zoom sur le visage d'un des marins qui s'occupe de l'échelle. Il sourit !
Les marins philippins sont d'une gentillesse et d'une gaieté inégalables. En plus, ils sont courageux.
Le commandant Giguet me confiait, il y a quelques jours, qu'il ne voudrait plus naviguer avec des marins d'une autre nationalité, en tout cas pas avec des européens. Les grands concurrents pour les marins philippins ce sont les marins indiens. Ils ont les mêmes qualités d'intelligence et de caractère.
Le triste constat c'est que nous marchons sur la tête. Qui voudrait embaucher des marins français risquant de se mettre en grève à l'arrivée dans un port chinois ? Notre "modèle" ne passe plus. Il est temps de s'en rendre compte.
Les aussières sont détachées. Les remorqueurs sont en place. Les ordres du départ sont donnés par le pilote et le commandant, répercutés en chaine vers tous les marins.
Les remorqueurs déhalent le Bougainville du quai du port.
Sortie de Port Kelang
Le demi-tour se fait face aux îles, un petit porte-conteneur passe devant nous, le fleuve n'est pas large.
La vision d'en haut est trompeuse, j'ai vraiment l'impression que nous allons heurter ce bateau.
Croisement avec un porte-conteneurs pendant le demi-tour du Bougainville
Nous sortons du port "en majesté" comme d'habitude. Prouesse technique dont je m'émerveille à chaque fois.
D'autres bateaux se faufilent pendant la manœuvre. Je suis admirative de voir autant d'embarcations différentes se partager les fleuves et les océans.
Nous remontons le fleuve pour revenir dans le détroit de Malacca. Les bateaux sont regroupés, le tirant d'eau est faible.
Nous longeons la côte de Sumatra jusqu'à l'entrée en mer d'Andaman dans le Golfe du Bengal. Il est 9 h 45.
Le pilote nous a quittés vers 8 h 15. Beaucoup de bateaux sont au mouillage, en attente d'une place à Port Kelang, ou d'un pilote pour les aider à y entrer.
Le pilote repart directement vers d'autres navires.
10h15, Le commandant est toujours là, ainsi que Bastien. C'est le quart de Ramhyrr. Le timonier/vigie est nouveau, il remplace Joselito dont la mission s'est achevée à Port Kelang. Je ne connais pas encore son prénom.
Nous retrouvons des pêcheurs et embarcations téméraires mais cela n'a plus rien à voir avec la mer de Chine.
Nous nous interrogeons sur le contenu des casiers, ils passent trop loin pour le distinguer.
La passerelle est silencieuse, après les tensions engendrées par le départ et la remontée du fleuve, le calme de cette fin de matinée s'harmonise avec le bleu scintillant de la mer.
Je n'ai pas envie de bouger du siège de la vigie. D'ailleurs je ne bouge pas…le luxe.
Après le déjeuner, la vie de croisière reprend. Promenade, piscine et un peu d'écriture en passerelle.
Il fait vraiment beau. 16h c'est le quart de Guillaume, il arrive avec Bastien et son nouveau timonier Vic, qui remplace Dan. Il va nous falloir quelques jours pour nous habituer les uns aux autres.
Nous entrons dans le détroit de Malacca et remontons le long de l'île de Sumatra.
Nous allons avoir 10 jours de mer avant le Canal de Suez ou nous devons arriver le 18-19 juin.
Tout l'équipage apprécie cette période de vraie vie de marin pour s'occuper du navire et être en mer.