5 h le temps est clair, la lumière qui filtre ne trompe pas, il va faire beau. Passerelle. Café. Nous arrivons cet après-midi à Philadelphie. Le pilote est annoncé à 14 h, la remontée du détroit est très longue. Nous ne serons pas à quai avant 22 h. Ce n'est pas pendant ce voyage que je visiterais Philadelphie.
Le disque rouge du soleil sort de l'eau. Je sors sur le pont extérieur, je commence à filmer mais sans conviction. C'est mille fois plus beau en vrai. Je ne sais pas filmer ces couleurs, le rouge devient blanc auréolé de rouge. Il faudrait faire une mise au point manuelle, encore une chose que je ne sais pas faire. Pas grave puisque je suis devant, je tire un plaisir maximum de toutes ses couleurs et de ce miracle tous les jours renouvelé. Il fait environ 28 degrés, l'air est léger c'est idyllique. Dix minutes de pur bonheur. La mer est superbe, petit à petit les nuages légers disparaissent. Les bleus du ciel et de la mer sont couleur de layette. Les traînées roses du lever de soleil sont longtemps apparentes. Des navires et un voilier, très loin, animent cette scène. Il ne manque que des animaux ! Qu'à cela ne tienne, voilà une bande de petits dauphins qui viennent sauter pendant quelques instants à la proue du navire. Le tableau est complet. Je peux aller dormir, mais non je n'ai aucune envie de dormir mais plutôt de goûter le plus possible tous ces moments fabuleux.
Deux cafés et un cookie après je mets le transat à tribord à l'ombre, même à 8 h le soleil est impitoyable. Pour me changer des auteurs du 18 et 19 ème siècle qui commencent à me fatiguer, je vais descendre chercher un roman policier à la bibliothèque. Je suis le conseil du capitaine qui a lu les livres de Boris Akounine. Ce sont des romans policiers, mais plus roman que policier. Ce qui me gêne dans les livres russes ce sont les noms que je trouve compliqués avec leurs déclinaisons. Il faut un moment pour s'y retrouver. Malgré tout, je fais l'effort et "Altyn Tolobas" est un livre très intéressant. L'auteur a beaucoup d'humour.
Le temps change sans arrêt. Un orage énorme me fait rentrer. Je crains que les grandes journées de soleil soient restées dans le Pacifique. Vers 14 h 30 je vais sur la passerelle. Tout est calme, quand les entrées dans les ports se font en remontant de longs fleuves, l'ambiance est toujours détendue. Surtout quand il fait jour. Le pilote indique les positions, les officiers surveillent. Nous entrons d'abord dans une immense baie "the bay Delaware". Ensuite nous nous engageons dans le fleuve Delaware. Il est beaucoup plus large que celui de Savannah. Beaucoup moins beau aussi. Les berges sont très industrialisées. Il y a des raffineries, des usines de production d'électricité. L'eau est grise, je ne sais pas si elle est sale mais elle doit être très polluée.
Sur le pont extérieur, j'entends une cloche, je reconnais une balise avec une cloche à l'intérieur. Les mêmes qu'à New York. Le son me fait frissonner, il me fait penser au son du glas. Vasile se récrie en me disant que pour lui, au contraire, c'est un son joyeux et protecteur. Pour le symbole je suis d'accord mais pour le son je maintiens ma version. Aucune importance je me demande si on sonne encore le glas dans les églises françaises.
Dans le dernier tiers du parcours nous longeons l'aéroport international de Philadelphie. Il est sur la même rive que la ville que l'on devine au loin. C'est Roissy aux heures de pointes ! Des avions de toutes tailles décollent avec un intervalle d'une minute environ et d'autres atterrissent au même rythme. Le nombre de pistes est impressionnant.
Sur la rive opposée le paysage de forêt est magnifique, Vasile dit qu'en automne c'est somptueux, tout est rouge et or. Je peux l'imaginer car c'est beau aussi en été. Beaucoup de jolies maisons sont construites tout le long de cette rive. Le problème c'est le vis-à-vis avec les usines et l'aéroport. Malgré la beauté, les odeurs nauséabondes et le bruit retirent beaucoup d'intérêt pour l'habitat.
Trois grands ponts enjambent le fleuve. La ville, moderne, est moins spectaculaire que Panama et Manhattan. Il y a en hauteur, dominant la périphérie de la ville, des grands anneaux routiers sur plusieurs niveaux. Fréquents dans les villes américaines, vus de loin, ils leur donne cet air futuriste de science fiction des années 50, qu'on retrouve encore dans certaines BD.
Le quai d'amarrage des navires marchands est au pied de la ville, très éloigné du centre. En face ce quai, relié par un pont à la grande ville, il y a Gloucester. C'est une petite ville de carte postale qui ressemble à un de nos villages avec un clocher d'église, une mairie, un kiosque. Sur les pontons, les gens se promènent, pêchent. C'est un très bel endroit mais toujours affligé d'un vis-à-vis industriel et assourdi par le bruit des avions.
Nous sommes à quai vers 20 h 30. Nous devons repartir vers 4 h 30 AM. Les officiers ne sortent pas, quelques marins iront au WALMART, je peux me joindre à eux. Non, merci j'ai fait le plein à Savannah. C'était avant-hier.
Pour les passagers australiens c'est le même scénario qu'à Savannah. Il vaut mieux en rire. Je regarde le travail des dockers. Je commence à mieux comprendre les rouages du travail qu'ils accomplissent. En particulier je sais maintenant que les énormes tiges de fer qu'ils manipulent comme des brindilles sont extrêmement lourdes. Un homme normalement costaud ne peut pas en tenir une à bout de bras comme ils le font si aisément. J'ai remarqué que la plupart des dockers sont plus larges que hauts, ils se déplacent lentement, lourdement. J'imagine qu'ils font de la musculation pour ne pas se déchirer les muscles ! Dans la nuit illuminée par les faisceaux oranges des projecteurs, les couleurs claquent. Les opérateurs dans les immenses portiques dirigent en cadence l'enlèvement et la dépose des containers. Ce sont les maîtres du ballet qui va durer des heures.
Je passe un moment par le bureau de surveillance du capitaine sur le pont A. Comme sur la passerelle il y a des compteurs mystérieux partout. Des programmes informatiques affichent sur un écran la position des containers. Le capitaine m'explique le principe des ballasts. Il les remplit en fonction du chargement que nous faisons. Suivant le poids et l'emplacement des containers, il contrôle, via un tableau de charge, le contenu en eau, des ballasts.
Je ne retiens pas forcément tout ce qu'il m'explique mais j'en comprends le sens, ce qui est bien suffisant. Je ne compte pas préparer un examen pour devenir capitaine !
Très contente de ma soirée. Je mets mon réveil à 5 h sachant par expérience que même aux US l'heure est rarement respectée à 15 minutes près.