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voyages-madeleine-guillou

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voyager en cargo autour du monde

Publié le par voyages-madeleine-guillou
Publié dans : #Demi-tour du monde

 

Je me réveille à 2 h, pas de moteur. Pas de containers devant mes sabords, mais le chargement n'est pas terminé. Je me rendors. Vers 4 h je sens qu'on bouge, effectivement la manœuvre commence. Je pourrais me lever mais j'imagine la fatigue des officiers, l'ambiance doit être pénible. Pas envie de vivre ça avec des officiers que je ne connais pas.

À 7 h je monte. Il pleut et il y a du brouillard. Effectivement les officiers sont fatigués. Le nouveau commandant est assis dans son fauteuil.

Je m'installe dans le siège de la vigie. Ronaldo m'apporte du café et Vasile des cookies. Précieux rituels. Je descends vers 8 h prendre mon petit-déjeuner. Le commandant est là, il me dit qu'il a eu un appel à 2 h du matin des services de l'immigration. Ils le prévenaient qu'il fallait qu'il paye une amende pour avoir laisser débarquer 2 passagers sans autorisation. Évidemment il s'est défendu en expliquant de nouveau le contexte de ce débarquement. L'immigration doit faire une enquête, elle a accepté de surseoir au payement jusqu'au prochain passage de l'Utrillo. C'est invraisemblable cette histoire. Le commandant a intérêt à ne pas faire confiance aux agents et a appliquer strictement la loi. Tant pis pour le confort des passagers.

Le pilote pour l'entrée à Dunkerque doit arriver vers 14 h, ensuite nous saurons peut-être à quelle heure nous arriverons demain au Havre. En tout cas ce ne sera plus le matin.

 

Je vais envoyer un message à mon fils pour le prévenir du changement de l'heure d'arrivée. Le commandant essaye aussi d'organiser le planning de son débarquement et de celui des officiers. Avec tous ces contretemps, ils ne seront pas chez eux samedi soir. J'imagine la déception de leurs familles.

 

Je termine mes sacs. Je n'aurai plus que quelques vêtements et ma trousse de toilette à ajouter. Je n'arrive pas à croire que je n'ai plus qu'un soir et un matin à vivre sur l'Utrillo.

 

La salle à manger est pleine des nouveaux arrivants ! Ils parlent anglais, langue officielle du bord mais j'aimais bien entendre parler roumain. Tout est dans l'ordre et je me sens étrangère. Heureusement "mon" commandant s'apprêtait à sortir et nous échangeons un sourire. Les passagers australiens sont invisibles. L'escale d'hier a du les fatiguer !

Les côtes de France sont visibles, à 14 h je monte sur la passerelle. Les binômes sont en place. Eduardo est à la barre. Le pilote vient d'arriver.

L'approche de Dunkerque n'est pas très belle, la mer est moche et la côte est plate. Le port de containers est petit avec peu d'animation. Celui de Fidji faisait la même taille  mais la mer était turquoise, il y avait de la chaleur et des palmiers.

Je n'ai plus ma place sur la passerelle. Mon téléphone sonne pour la première fois depuis 3 mois. Je ne m'y attendais pas, la passerelle non plus. Je rassure tout le monde et je sors très vite sur le pont. Le téléphone ne m'a pas manqué mais je retrouve avec plaisir les voix de mes enfants

Quand je reviens sur la passerelle, le pilote a compris que je suis française et passagère. Il me demande si le voyage n'a pas été trop long. Il a été navigant pour la CMA pendant 15 ans, ensuite il est devenu pilote. Quand il naviguait les passagers n'avaient pas droit à la passerelle. C'était l'époque ou la compagnie a commencé à recruter du personnel roumain. La langue officielle du bord était le Français. Le commandant approuve. Grâce à cela les officiers roumains ont perfectionné leur français jusqu'à le parler couramment. Après la fin des manœuvres, nous échangeons encore un peu. Il a travaillé très dur pour avoir ce poste de pilote mais il trouve que cela en valait la peine. Il est passionné par son métier qui lui permet de rester proche du monde des marins et d'avoir une vie personnelle normale.

 

Dans le salon des passagers contrairement à l'habitude en escale, tout est désert. Le commandant n'est pas là, le second officier non plus. Du coup j'accueille l'agent portuaire, jeune homme sympathique et bien sûr français. Comme le pilote tout à l'heure, il me demande si cela n'a pas été trop long de vivre trois mois sur un porte-containers. Depuis 6 mois il est titulaire de son poste. Au bout de 2 ans à la CMA il pourra faire le voyage des Antilles. Tous les lundis, un navire qui fait ce trajet s'arrête à Dunkerque. Il connait tous les commandants et pourra choisir son équipage. Il rêve de ce voyage. Il est né tout près de Dunkerque, son père est marin et il ne peut pas vivre à moins de 150 m de la mer.

Le commandant arrive. Les formalités se font en français. Le commandant lui demande si les services d'immigration montent à bord. Non, ils ne viennent jamais. Le commandant a été échaudé à Rotterdam, il insiste mais l'agent lui répond que les passagers peuvent sortir, pour revenir il leur faudra seulement leur badge. Ils peuvent appeler un taxi. Le centre ville de Dunkerque est à 27 kilomètres, le centre commercial Auchan est à 5 km. Il est 17 h, je ne vois pas ce que j'irai faire à Dunkerque et je veux vivre une dernière soirée sur le navire.

Les passagers australiens sont déçus car il n'y a pas de foyers de marins. Décidemment le tourisme à l'australienne nous étonne de plus en plus.

 

Je grave les dernières photos et films sur des DVD et des disques externes pour le capitaine, le commandant, le chef mécanicien, Gerard, Numériano… Le temps passe à une vitesse folle. Je descends dîner. Il n'y a personne … évidemment il est 20 h 30 et non 19 h 30 comme je le pensais. Décidemment la fin de ce voyage me chamboule. La pluie s'est arrêtée, je m'installe une dernière fois dans mon transat sur le pont face au soleil couchant. Un coucher de soleil est toujours uniue mais j'ai la nostalgie des couchers de soleil en pleine mer quand l'eau s'embrase sans limite avec des nuances de couleurs impossibles à restituer sur une photo.

 

J'attends minuit, je ne vais pas manquer le dernier départ. Le pilote monte à bord. La passerelle est silencieuse et dans l'obscurité on ne voit que les lumières des instruments de bord et des quais extérieurs. Pas de bruit sur les quais, il n'y a pas d'activité de nuit à cet endroit et les manœuvres de chargement et déchargement sont terminées depuis plusieurs heures. Le pilote et le commandant Cornea sont sur le pont extérieur. Le commandant a passé les commandes à son remplaçant mais il assiste aux manœuvres du départ. Je salue en français et le pilote s'étonne de la francophonie ambiante. La raison est que je suis française et passagère. Donc tout est normal. Nous sympathisons. Durant la soirée pendant les temps morts de la guidance, nous échangeons quelques mots. Il est né sur l'île de Groix, commandant à 28 ans il a navigué pendant 12 ans. Prévoyant l'usure presque inévitable qu'entraîne cette forme de vie il a passé le concours de pilote. Il habite Dunkerque, ce métier lui permet de travailler une semaine sur deux, il peut ainsi retourner souvent sur son île retrouver son bateau. Il a aimé naviguer, ces 12 années ont été des vacances. Il dit quelques mots sur cette petite compagnie pétrolière avec laquelle il a navigué entre l'Afrique et l'Amérique du Sud dans des conditions quelquefois rocambolesques. Homme passionné par les métiers de la mer, famille de marins il arrive à concilier plaisir et travail. Comme le jeune agent portuaire il a aussi reçu la mer en héritage. Il trouve intéressant de monter sur les bateaux ou il fait de belles rencontres. Il trouve que le métier a beaucoup changé depuis quelques années. La pression devient trop forte sur les officiers et cela rend le métier moins attractif. Son regret est de ne pas avoir traversé le Pacifique mais il le fera un jour sur son voilier.

Nous sommes de nouveau en pleine mer, la mission du pilote est terminée. Je regarde son départ du haut de la passerelle. Pas envie de dormir, je suis dans une curieuse léthargie comme si je cherchais a arrêter le temps.

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