6 h 30, je suis au rendez-vous de la passerelle. L'éclaircie n'a duré qu'une soirée. Le ciel et la mer se confondent, le brouillard enveloppe tout. L'Atlantique Nord ne fait pas de cadeau. La mer est grise. Seule la température a remonté, nous avons 21 degrés.
Je vais me mettre dans le transat pour lire. L'humidité est telle que je suis obligée de mettre mon ciré et de me couvrir les jambes. Je vois à peine la mer à mes pieds. Tout est blanc, laiteux. Capuche sur la tête, enveloppée dans la couette, je dois ressembler à Clara, l'enfant tuberculeuse, amie d'Heidi dans un livre qui a bercé mon enfance. Pour tous ceux qui ne connaissent pas, et ils doivent être nombreux, Heidi est une petite fille des montagnes qui vit chez son grand-père. Elle rencontre une petite fille de la ville venue se soigner à l'air pur. Ce souvenir me revient car tous les après-midi, pour guérir Clara, sa maman l'installait au soleil. Elle était dans une chaise-longue, au-dessus des nuages, emmitouflée de couvertures. D'accord, je ne suis pas une petite tuberculeuse et Heidi n'est pas là pour me distraire mais cette image a du marquer mon imagination puisqu'elle me revient à cet endroit. Mystères de la mémoire.
Journée somnolente et douce. Le brouillard est toujours aussi épais mais le soleil, derrière, chauffe vraiment. Curieuse lumière irisée, pleine d'ombres laiteuses. Je me secoue pour aller marcher un peu. À la proue, je reste un moment me regrettant de ne plus voir de poissons volants. Comme pour me consoler, trois dauphins surgissent dans une jolie arabesque, je les regarde s'éloigner entre deux eaux. Finalement l'eau à beau être d'une vilaine couleur grise, elle est claire au moins en surface. Ma journée est sauvée.
Vasile n'a pas vu les dauphins mais il a vu une baleine. Normal il est plus grand que moi ! Le navire va lentement, nous avons du temps. Nous ne pourrons pas entrer dans le port de Rotterdam avant le 5 juillet. Il vaut mieux économiser le fuel plutôt que de rester au mouillage dans la Manche.