Nous remontons les côtes de l'Espagne. Le mauvais temps prévu sur le Portugal se fait déjà sentir.
Dès le petit jour la mer est très forte. Le soleil se lève dans un ciel menaçant rempli de nuages noir qui vont le cacher presque aussitôt.
Instants furtifs.
Le commandant se résigne à admettre que nous n'allons pas récupérer notre retard. La vitesse du bateau est ralentie par le vent et pour des raisons techniques il ne peut pas pousser davantage les moteurs pour contrer la force du vent.
Il évalue à une douzaine d'heures le retard pour l'escale à Southampton.
Promenade prudente, je rencontre Jonee, lieutenant philippin, qui me conseille de ne pas aller sur le pont avant et de ne pas continuer sur la coursive bâbord ou je me trouve.
C'est la première fois qu'on me met en garde, j'écoute le conseil. Pour revenir en sécurité sur tribord je traverse par le couloir qui passe devant le château machine avec ses portes qui ouvrent vers le ventre de la bête.
Je trouve un recoin pour regarder les superbes vagues en écoutant de la musique.
C'est dimanche et il y a un match de foot important. En début d'après-midi la passerelle est envahie par les officiers. C'est le seul endroit où il y a une radio qui peut transmettre le match. C'est un match de foot France quelque chose (pardon, mais vraiment je m'en moque des matchs).
Bastien est au taquet. Il a mis ses bretelles fétiches pour ce genre d'occasion. Avec Guillaume et Pierre ils sont très concentrés. Les autres officiers, dont le commandant bien sûr, feront des apparitions.
On ne plaisante pas avec ce genre d'évènement surtout que la France semble en difficulté. Françoise et Christian tendent l'oreille.
Je crois que je n'ai jamais vu autant de personnes en même temps sur la passerelle. C'est familial et sympathique.
La tension monte, Bastien en retire ses bretelles tricolore et… soulagement, la France gagne.
Les deux supporters peuvent prendre leur quart d'excellente humeur. La mer est toujours très forte mais la navigation ne pose pas de difficulté et la mer est vide de bateaux.
Le soleil apparait, c'est plus gai. Françoise et Christian peuvent sortir sur l'aileron et profiter de toutes les sensations que l'on peut ressentir tout en haut d'un porte-conteneur quand on est en pleine mer.
Si c'était possible je pense qu'il pourrait y passer des journées entières, ils apprécient au maximum leur voyage.
À 18h le commandant ouvre sa boutique. Il l'ouvre deux ou trois fois par rotation (3 mois environ la rotation). Il faut bien qu'il gagne sa vie ! Comme je ne l'ai pas encore vu dans ce rôle je descends avec Françoise et Christian.
La boutique est une réserve avec des rayonnages. En arrivant nous recevons un petit bout de papier sur lequel mettre notre nom et ce que nous achetons. Les prix ne sont pas affichés, le commandant nous présentera la facture à la fin du séjour. On peut demander des renseignements.
Il y a du rhum, des bières, des sodas, des cigarettes, du vin, des brosses à dent, du dentifrice et autres denrées de survie. Dans un coin quelques barres chocolatées que notre vendeur de luxe nous déconseille, il n'est pas sûr qu'elles soient encore comestibles ! C'est très amusant, Françoise et Christian sont de plus en plus heureux d'être à bord.
Il est déjà l'heure du diner je remballe tous mes outils et je descends les mettre dans ma cabine. Pour une fois j'ai emporté mon mug avec du café à la passerelle. je le mets dans mon sac. Arrivée à ma cabine, je défais mon sac et c'est l'horreur. Il restait du café dans le mug, il y en a partout sur mes appareils.
Mon appareil-photos est trempé. Je le nettoie, retire carte et batterie. Je le sèche un peu avec mon sèche-cheveux mais je ne suis pas rassurée. Ce n'est que du matériel et c'est la fin du voyage mais quand même j'enrage.
Heureusement le diner est gai et agréable. Notre rencontre sur ce bateau est absolument étonnante. Il y a quelques mois ils ont regardé à la télévision un documentaire sur les voyages en cargo. Il y avait longtemps que cela les intéressait mais suite à cette émission ils ont appelé la CMA-CGM pour réserver un voyage.
Dans la foulée ils ont cherché des livres et ils ont acheté le livre "Voyager en cargos, 25 portraits de bourlingueurs" aux éditions de la Martinière. Quand nous nous sommes rencontrés à leur arrivée, Christian a fait le rapprochement entre le livre et moi. Françoise a même utilisé quelques-uns des conseils que je donne dans "la valise de Madeleine" pour faire son sac. Incroyable coïncidence.
Je termine mon tour du monde et ils font leurs premiers pas sur un cargo. La vie est vraiment bonne quelquefois.
La journée se termine par le coucher du soleil vu de la passerelle. Le vent est beaucoup trop violent pour aller sur le pont avant. Il fera beau demain.